Le sommeil : Du Rêve à L’individuation

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décembre 28, 2020

Il y a des phénomènes bien étranges dans l’existence, mais celui du changement est peut-être l’un des plus particuliers. Au travers de cet article, nous essayerons de comprendre, comment deux mots peuvent faire évoluer votre conception du monde et de son fonctionnement ?

Ces deux mots se trouvent être : anthropologie et rêve. En les associant une nouvelle discipline apparaît, une discipline qui va nous forcer à découvrir l’homme sous un nouveau jour. L’anthropologie du rêve est peut-être l’une des sources les plus abondantes de ce fameux changement. Ainsi, cette perspective met en relief notre passé, nous permet de comprendre notre présent et, aussi peut-être, d’entrevoir notre futur : nous savons tous qu’au travers de la connaissance de nos erreurs, nous pouvons orienter notre avenir. La question souvent posée, quand on parle du rêve en société, est de savoir quelle en est sa fonction. Est-il si important de rêver quand on sait que les manchots peuvent se passer de dormir pendant plusieurs mois ?

Le rêve, du plus loin que l’on s’en souvienne… L’antiquité.

Pourquoi devons-nous remonter si loin pour comprendre le rêve ? Tout simplement parce que le rêve n’a pas la même signification, représentation, ou encore, sens pour nous que pour les personnes de jadis. Il nous faut donc chercher à interpréter ce qu’il a été, pour concevoir ce qu’il est aujourd’hui et, d’une certaine manière savoir ce qu’il n’est pas.

L’antiquité est une période de notre histoire. Alors que j’en parlai avec un très jeune patient, celui-ci me demanda la différence entre l’antiquité et la préhistoire. Pour lui, la préhistoire était : ce qui se passe avant le fameux « il était une fois… » Et pour être franc, ce n’est pas totalement faux, si l’on y réfléchit. Il était une fois, c’est le commencement d’une histoire. Cela pourrait, même d’une certaine manière, être le commencement de notre histoire à tous, les êtres humains. C’est finalement le temps d’avant l’écriture. L’antiquité est donc le moment où le symbole physique, soit l’écriture, est apparu et nous a permis de transmettre autrement notre histoire. Il se passe donc ici quelque chose d’important, la marque laissée dans la pierre ou sur le papier, n’est plus éphémère. C’est une trace visible. On peut constater une chose, la trace que l’on laisse ne correspond pas forcément à la réalité. Il faut donc prendre conscience, qu’ici l’être humain était capable de prendre connaissance de l’écart entre le désir et la réalité.

La question qui va nous guider, ici, est de savoir quelle représentation, les gens avaient du rêve pendant l’antiquité ?

L’arbre généalogique des dieux du sommeil…

Une des grandes différences entre le grec et le français, c’est la traduction vis-à-vis de la production de rêve. Ainsi en français l’on va dire : « je fais un rêve » et en grec :  » je vois un rêve ». Dans l’antiquité, le rêve était interprété par la présence des dieux, et toute la mythologie a bien des sens cachés.

Oneiros est le premier des rêves que l’on peut recenser dans l’arbre généalogique. Mais contrairement aux autres, il n’a visiblement jamais reçu de culte. Il est d’ailleurs représenté comme un être double, qui apporte les rêves aux hommes par, ce que les Grecs appellent, la porte du vrai. Il faut avoir été initié au rêve pour en comprendre le sens.

Un point essentiel que nous aborderons dans un prochain article sur la fonction du rêve aujourd’hui, c’est l’importance du sommeil pour comprendre le rêve. D’ailleurs les Grecs l’avaient bien compris et avant de pouvoir rêver, il faut pouvoir dormir. Et la aussi il y a un dieu, Hypnos, qui est donc le dieu du sommeil. Hypnos est également considéré comme étant le gardien de la nuit, celui qui reste éveillé quand le monde est endormi. Il n’est pas le fils de n’importe qui, il est l’un des fils de Nyx, qui est elle-même la déesse de la Nuit. Par ailleurs, il est aussi, selon l’Iliade, le frère jumeau de Thanatos, qui est le dieu de la Mort. Ce qui, dans la représentation, n’est pas anodin, car il associe le sommeil à la mort. Ne dit-on pas : « dormir c’est comme une petite mort ». D’ailleurs le mot Hypnos, gravé sur les tombeaux, désigne l’éternel sommeil.

Oneiros, n’est pas le seul dieu des rêves, je vous donne un indice, que dit-on quand l’on va se coucher ? : » je vais dans les bras de… » Morphée », selon les récits le fils du sommeil et de la nuit (donc d’un inceste). Il a pour devoir d’endormir les mortels.

Nb : Il est l’étymologie de la drogue bien connue la « morphine », en raison de ces propriétés soporifiques ;

Pour terminer l’arbre généalogique des dieux qui s’occupent du rêve et du sommeil, nous sommes obligés de parler de l’oncle de Morphée, les frères jumeaux du sommeil et le fils de la nuit : Thanatos. C’est la personnification de la mort. Dormir, finalement, de tout temps, a représenté la peur ultime, qui est celle de mourir. Les représentations iconographiques de ce dieu sont extrêmement symboliques, il faut le savoir, ainsi on le retrouve souvent une faux à la main, parce que cela symbolise le fait que la vie peut être moissonnée comme le blé de l’été.

Nb : Le sommeil et la mort sont jumeaux et constituent deux présentations de la même condition du soi. (Cratère en calice attique d’Euphronios, Grèce, VIe siècle av. J.-C., exposé au Metropolitan Museum, New York).

Le rêve dans le passé antique ?

Nous avons pu constater, grâce aux nombreux et divers récits de rêves sur les dieux, une explication commune à cette activité. Elle serait donc d’abord prémonitoire. Le rêve devient un lieu où l’on nous apporte des réponses. C’est un endroit entre deux ou l’on vient nous rendre visite, où les dieux viennent jusqu’à nous, pour nous délivrer leur message. Celui-ci est divin et double, il peut y avoir plus de réalité que ce qui se passe dans la journée à l’état de veille. Il peut nous apprendre que l’on est un simple homme ou un héros… Mais c’est aussi pour eux un phénomène tout aussi objectif que la gravité pour nous.

Mais n’est-il que ça ? Que s’est-il passé quand les hommes ont commencé à voyager, à guerroyer, et donc, à se confronter à d’autres cultures, ou tout simplement à l’autre ? Qu’est-ce que le mélange des sociétés a permis ? Découvrez-le dans le prochain article sur la fonction du rêve à travers le temps…

 

Bibliographie

  1. Andrieu Bernard, « Introduction »,  La neurophilosophie, Paris, Presses Universitaires de France , «Que sais-je ?», 2007, 128 pages URL : cairn.info/la-neurophilosophie–9782130564287-page-3.htm.
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  8. Michel Jouvet, Le Sommeil et les rêves, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 187
  9. Hayat Michaël, « L’enracinement biologique de la pensée : de Diderot aux sciences contemporaines », Le Philosophoire 3/2003 (n° 21) , p. 41-64 URL : cairn.info/revue-le-philosophoire-2003-3-page-41.htm. DOI : 10.3917/phoir.021.0041.
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  11. Françoise Parot, « De la neurophysiologie du sommeil paradoxal à la neurophysiologie du rêve », Sociétés & Représentations 1/2007 (n° 23) , p. 195-212 URL : cairn.info/revue-societes-et-representations-2007-1-page-195.htm. DOI : 10.3917/sr.023.0195.
  12. Françoise Parot auteur aussi : de L’Homme qui rêve (Paris, PuF, 1995), Cent mots pour comprendre le rêve (Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1995), elle a dirigé Du rêve au sommeil paradoxal (Lausanne, Delachaux et Niestlé, 2001)
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