la peur du Noir
« La couleur noire absorbe tout, la nuit noire, tout est absorbé... » Voilà ce que me dit un enfant pendant une consultation. Il vient me voir parce qu’il a une peur terrible du noir et des monstres qui se cachent dans l’obscurité et qui pourraient l’emporter, « mais où ? » lui demandai-je. Il ne sait pas « où vont les couleurs ? Où qu’il va le bleu du ciel ? » me demande-t-il de manière tellement pertinente pour un enfant de 5 ans. Comment répondre à ça ? en lui disant nulle part, ce qui serait tout aussi angoissant que partout ailleurs finalement. Puisque ce « nulle part » le rendrait tout aussi impuissant que ce « partout » où il pourrait être entrainé. Puis vient la question d’après, mais qui voudrait t’entrainer dans cette obscurité ? Il ne sait pas, il a peur que quelque chose surgisse, et me lance comme ça, sans conviction comme si j’allai me moquer de ce qu’il dit, « les montres qui se cachent dans le noir, comme dans le dessin animé « Monstres et compagnie« .
Dans cet échange il y a presque toutes les réponses à ce que peut être la peur du noir. Il a peur , il a un » Sentiment d’angoisse éprouvé en présence (ou à la pensée) d’un danger réel ou supposé, d’une menace » (Larousse). Et pour lui cette menace viendrait du noir ou, de ce qui pourrait dans un deuxième temps s’y trouver.
Alors comme beaucoup d’autres articles, je pourrais reprendre l’idée de la perte des repères. Parce qu’il est évident que le monde, pendant la journée, est un monde que l’on connait, sur la gauche il y a l’armoire et je vois ce qu’il y a dessus, à droite le placard et je vois ce qu’il y a dedans. Mais est-ce vraiment nécéssaire d’expliquer ça ? Ou vaut-il mieux reprendre ce qui se passe et, comment cela se passe pour lui ?
Dans un précédent article, j’explique que l’enfant est assailli de nouvelles sensations à partir de la naissance. Et facteur important, à prendre véritablement en compte, c’est que ces sensations nouvelles apparaissent sans prévenir : la faim, la soif, la fatigue, le froid, le chaud… Ce sont dans un premier temps que des sensations désagréables. Avoir faim, pour un adulte, c’est déjà pas drôle mais imaginez pour un enfant, ce creux qui vous dévore, et que vous ne savez pas ce que c’est ? Tout cela n’est pas très rythmé au début. Et comment voudriez vous que ça le soit ? Votre enfant était relié à une batterie qui l’alimentait h24. Mais avec le temps, votre enfant va se mettre comme chaque être au monde au diapason, le jour et la nuit vont venir donner le tempo dans son monde, comme dans le votre. Tout cela c’est un peu les repères dont on parle en psychologie. C’est donc d’abord le temps, qui va venir puis, quand il sera réglé, c’est l’espace qui va venir être questionné. Est-ce que le monde à l’extérieur est aussi amovible que celui à l’intérieur ?
Rappel : Un des grands principes de la vie est, que l’on ne peut pas avoir peur de tout, en même temps. Essayez, si, vous avez peur des araignées et des abeilles, de vous mettre proche des deux. Inévitablement, vous vous préoccuperez plus de l’une ou de l’autre. Pour l’enfant c’est pareil, il ne peut pas avoir vraiment peur du monde extérieur tant qu’il a peur de son monde interne.
Pour répondre à cette question, l’enfant va commencer par découvrir, petit à petit, ce monde au travers de votre regard. Il va vérifier en vous regardant s’il n’est pas en danger, puis dans vos mots. Puis vient indubitablement, le moment des histoires, ce moment est un moment extrêmement prolifique pour votre enfant. Parce qu’il va lui permettre de trouver des réponses à ce qui provoque de l’angoisse chez lui. N’oubliez pas qu’il n’a pas encore les mots pour parler des émotions qu’il ressent à l’intérieur de lui, ou commence tout juste. Il vient à peine d’obtenir ceux qui lui permettent de comprendre les sensations.
Nous avons aussi dit qu’il commence à se confronter à la frustration d’être impuissant à commander ce monde. Et ce monde est-il comme lui vivant ? Si oui, est-ce qu’il pourrait lui faire du mal ? le monde extérieur devient donc potentiellement dangereux, puis on est seul face à ce monde rempli
de dangers la nuit. Des dangers sans nom, mais il faudra les nommer ces choses. Il faut les nommer, parce que donner un nom aux choses, permet de récupérer un peu de pouvoir sur celles-ci. Les cris n’ont plus fonctionné, puis il a commencé à vous appeler maman ou papa et vous avez recommencé à venir à lui. La nuit est donc devenue le berceau d’un nouveau monde, celui de son imaginaire. L’imaginaire de l’enfant est la fabrique industrielle de rationalisation abscons. Cela veut dire qu’avec le peu de connaissance qu’il a, en sa possession, il va trouver des réponses à toutes les questions qu’il se pose.
Pour terminer :
Votre enfant ne contrôle plus ce qu’il se passe, parce qu’il ne le voit pas. Ce n’est pas comme pendant la journée ou, il peut vous appeler ou simplement vous regarder pour se rassurer. La nuit, Il est impuissant et cela le réveille, ou provoque de l’angoisse. Cette angoisse se formule souvent de cette manière : est-ce que maman ou papa va arriver assez vite s’il y a un problème ? Et si le loup venait ? (nous verrons pourquoi, dans un futur article, les contes sont importants) D’une certaine manière, convoquer dans l’imaginaire de l’enfant, le loup vient ici remplir le vide que l’absence des parents a laissé. Il vient dans le fantasme représenter la vengeance contre ces méchants parents qui l’ont abandonné seul dans le noir. Et si ce fantasme vient s’élaborer, c’est peut-être tout simplement, parce que la première règle que l’on apprend aux enfants, est de : ne pas partir avec un inconnu. Qu’est-ce que fait l’inconnu si ce n’est : kidnapper et donc de le séparer. Le loup vient aussi faire en sorte que l’enfant ne soit plus seul.
La peur du noir, n’est pas une peur simple, c’est la peur d’être seul et d’être impuissant dans cette grande chambre. Le monde des rêves, chez l’enfant, est peuplé de monstres. Combien de fois vous êtes vous réveillé la nuit, avec la boule au ventre, les larmes aux yeux sans savoir pourquoi ? en tant qu’adulte, vous rationalisez rapidement ce qu’il vous arrive, mais un enfant de 3 ans, qui a un vocabulaire de 500 mots, pensez-vous qu’il le puisse aussi rapidement ?
Bibliographie
- Parot, F. (1995). L’homme qui rêve. Paris : PUF.
- Luis Alvarez, Bernard Golse, La psychiatrie du bébé, 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2013, 128 pages. ISBN : 9782130621508
Lien : <http://www.cairn.info/la-psychiatrie-du-bebe–9782130621508.htm> - A. Bridoux, C. Monaca. Sommeil normal et neurobiologie. La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 – n° 1 – janvier-février-mars 2010
Lien pour aller plus loin sur le sommeil :