Dossier : Le manque d’humanité dans les sciences 3
Article 3 : Clivage dans la psychologie
Reprenons :
- Fait 1 : la question de la norme scientifique engendre la confiance selon l’idée populaire (Article 1)
- mais la norme scientifique telle que l’on peut la comprendre engendre une déshumanisation de la recherche, telle que nous l’avons présentée (Article 2)
- Fait 2 : cette déshumanisation de la recherche a pour conséquence que l’on en vient à traiter l’homme comme un être clivé, on le vide de son sens, il devient un chiffre, un numéro.
La question qui se pose donc est de savoir si l’on peut se soumettre aux mêmes normes que n’importe quelles sciences quand on traite avec (de) l’Homme ?
Sommes-nous véritablement libres dans la recherche, si nos disciplines aussi différentes soient-elles sont sous le joug de la toute-puissance des mathématiques et des critères de validité de la physique ? (Article 1) Devons-nous suivre les mêmes démarches de rigueur scientifique au prix d’abolir les frontières entre nous et la déshumanisation, pour pouvoir être reconnus comme scientifiques ?
Entre dépendance et indépendance, un terme vient s’installer et prendre de la place, nous l’aurons compris ici, celui de l’autonomie. Et donc, si tout le problème avait à voir avec la question de l’autonomie justement ? Et si emprisonnés entre les conflits et les guerres de chapelle, qui font rage au cœur des sciences humaines, les chercheurs ne pouvaient plus voir le bout du tunnel, prisonniers des chaines d’un rigorisme et d’une rationalisation sans âme ? Guillaume Nemer (2013/5), nous dit « quand elle devient consciente de l’effet pervers qu’elle engendre, la société en quête d’une raison à la rationalisation, enjoint aux consciences volontaires de trouver dans les meilleurs délais la condition inverse de l’émiettement qu’elle favorise… »[1]. La société scientifique s’émiette. Nous en arrivons à parler du dernier clivage, celui au sein même de notre discipline qu’est la psychologie, et de sa recherche. Nous parlons bien sûr de la question de la recherche : Quantitatives Vs. Qualitatives.
C’est un « débat largement travaillé mais qui souvent ramène à l’idée d’un débat finalement entre recherche quantitative et qualitative »[2] l’une serait-elle plus scientifique que l’autre ? Si oui, pourquoi ? Est-ce que cela voudrait dire que l’une possèderait quelque chose de plus ? On en revient donc indubitablement à cette idée de critères de rigueur.
Par exemple on parle souvent pour la recherche quantitative « de stratégie de recherche visant à mettre au jour des données crédibles en regard de l’objet de recherche »[3], mais qu’est-ce que veut dire des ‘données crédibles’ et surtout pourquoi les données de la recherche quantitative seraient plus crédibles que celles qualitatives ?
J’ai donc posé la question à mes collègues et j’ai obtenu comme réponse que « cela renvoie à la position épistémologique du chercheur », comme nous avons déjà pu le voir ensemble dans l’article sur l’absurde. Parler de position épistémologique revient donc au choix fait par l’intéressé du courant dans lequel il voudra s’inscrire et développer sa recherche.
A savoir que dans notre discipline (la psychologie), il y a deux courants épistémologiques qui s’affrontent, on peut même parler d’une guerre ouverte, qui prend racine, dans l’idée même de la scientificité du courant.
- Il y a le courant analytique, où la recherche sera qualitative, cela veut dire qu’il n’y aura que très peu de sujets. Cette recherche se bornera à une idée d’individualité. La conception soutenue derrière serait donc que l’Homme est un individu complexe irréductible. Et qu’il ne peut exister que dans cette irréductibilité. Malheureusement, comme toute théorie, elle se développe pour donner une conception de l’être humain généralisable, ou disons, une théorie de la construction de l’esprit, et qui instaure à partir de là, un paradoxe. Comment peut-on développer une théorie généralisable, si on considère que l’individu est unique ? (Il nous faudra en parler dans un prochain article)
- Le courant en face est le cognitivisme, sa recherche est quantitative. L’individu est étudié par rapport à un groupe, ou ce sont des groupes entiers qui sont étudiés. Pour cela une liste de critères est établie et l’on cherche à retrouver des sujets qui y correspondront. L’individu n’est plus unique, d’autres sont comme lui, ou peut-être, d’autres vivent ou traversent la même chose que lui. Pour certains épistémologues, cela reviendrait plus à travailler sur la personne mais sur le concept, comme par exemple : le passage à l’acte chez l’adolescent et non plus l’adolescent qui passe à l’acte…
Donc si l’on choisit le courant analytique, l’étudiant ou le chercheur, devra faire du qualitatif qui serait, selon les convictions, moins scientifique et celui qui choisira le comportementalisme devra faire du quantitatif plus scientifique. C’est comme si l’idée de la technique était vidée de son sens, comme s’il était impossible de percevoir les choses autrement que clivées.
L’idée de plus scientifique, est due à la méthodologie qui sera mise en place. Une méthodologie souvent complexe, avec un nombre de variables qui sont toujours de plus en plus importantes. Ces variables peuvent être des émotions, des maladies, des personnes… qui sont transformées en chiffre sur un clavier d’ordinateur pour devenir des données statistiques « fiables ».
Cependant il est à savoir que cette logique, de l’une plus scientifique que l’autre, n’est pas soutenable quand on approfondit l’idée de la critériologie puisque « les paramètres de validité scientifique d’une théorie sont : la consistance – la complétude – la limitation – le pouvoir d’interprétation- le pouvoir de prédiction et la vérification- l’analycité et l’irréductibilité »[4]. Si l’on y réfléchit bien, tout comme les épistémologues ces dernières années, ces différents critères ne sont applicables dans leur totalité pour aucun domaine aussi « rigoureux » soit-il autre que les mathématiques. Ce qui rend caduque l’idée qu’un courant serait plus scientifique finalement. Alors faisons-nous comme en psychiatrie américaine, si la discipline ou la recherche, peut se soumettre à au moins 5 de ces critères ou plus, nous dirons qu’elle est scientifique, simplement pour faire valoir un titre ?
Pour autant cela conviendra à expliquer la dissension entre cognitiviste et analyste, entre quantitatif et qualitatif. L’utilisation, des critère scientifiques plus résistants telles que les statistiques, aura pour allure, d’être plus robuste, dans leur véracité, et donc plus juste et sûre.
Dans un monde où l’on se doit d’être le plus fiable possible dans nos propos, où l’on n’a aucun droit à l’erreur, l’idée d’en faire une ne peut plus être considérée comme une réponse à notre humanité. Pour se soustraire à notre part faillible, on se soumet déraisonnablement à l’empire du chiffre et, pour nous rappeler aux bons soins de notre question posée dans notre premier article sur l’absurde, à l’empire de la recherche devenu nomothétique !
L’éthique, serait donc une piste pour ramener de l’humanité, mais aussi, donner du sens à la recherche. Chercher à comprendre l’homme, non plus comme un élément que l’on peut cliver ou réduire à l’état de chiffre, et pourrait permettre au chercheur de le concevoir dans un contexte…
Mais finalement qu’est-ce que l’éthique ?
Bibliographie
[1] Nemer, G. (2013a). L’autonomie, les contours du phénomène. Le sociographe, Hors-série 6(5), 13–17.
[2] idem
[3] Idem
[4] idem