Article 2 : Clivage homme esprit – disparition de l’Homme dans la recherche
Pour introduire notre propos et faire suite à l’article 1, nous commencerons par une notion capitale, celle de la crise dans la science ou les sciences, c’est à partir de ce phénomène d’actualité que nous développerons tout notre propos autour de l’éthique de la recherche. C’est au sein d’un clivage que l’homme et la science, selon nous, se dénient. En niant l’existence de l’autre cela instaure une impossibilité d’avancer et de progresser.
Etienne Klein (2013) émet l’idée « d’une séparation occidentale entre la nature et la science, que nous les Hommes, avons mise en place. Cette séparation aurait eu pour conséquence d’abimer la nature que nous avons considérée à notre disposition »[2]. Nous émettrons, ici, la même idée mais de manière plus spécifique encore entre le corps et l’âme (ou l’esprit). C’est-à-dire qu’en séparant le corps de son esprit, de ce qui le fait vivre par essence, nous finissons, nous aussi, par nous abimer, et cela à bien des niveaux. L’homme ne serait, au même titre que la nature, pas à notre disposition et tout comme le fameux disciple de Galilée qui lui a reproché d’avoir vidé le monde de son sens, nous finissons par vider l’Homme de tout le sien.
Ce qui nous amène à nous poser la question, de savoir si le problème dans les sciences ne serait pas ces différents clivages qui s’instaurent à plusieurs niveaux, lentement mais insidieusement entre :
- science est philosophie
- l’étude du corps et ses mécanismes et l’étude de l’esprit et ses dispositions.
Ce ne sera pas une surprise que de se dire que l’étude du corps, comme la biologie est considérée comme scientifique et que tout ce qui concerne l’esprit, est considéré comme plus philosophique ?
Ce qui nous amène à nous demander si des matières telles que la psychologie sont des sciences ? Peut-on parler de science pour de telles disciplines ? Et si ce n’est pas le cas, les recherches qui sont menées, depuis sous sa coupe, dans quelles catégories doivent-elles être rangées : les sciences ou la philosophie ?
Et comme nous l’avons déjà abordé dans la question de l’absurde imposé dans la rigueur, il semble que cela ne soumettra pas le chercheur aux mêmes critères, dirons-nous, de « rigueur ».
Revenons-en au sens de la crise de la recherche, il est à savoir que les Français se désintéressent des sections recherches[3], les étudiants ne veulent plus s’inscrire dans ce genre de filière, mais pourquoi ? J’essayerais de vous répondre au travers mon expérience universitaire en tant qu’apprenti chercheur.
Beaucoup de nos camarades n’ont jamais compris l’engouement que l’on peut avoir pour la section recherche, et nous ont dit : « Deviens professionnel, c’est plus simple… Et tu es au contact du patient après tout, c’est pour ça que l’on a voulu devenir psychologue ».
Une piste qui émerge vis-à-vis d’un clivage existant et, qui s’impose jour après jour à nous, comme une injonction paradoxale, quelque chose que notre esprit ne peut comprendre de manière consciente, mais qui finit par vous atteindre indubitablement. Ici, il semble que l’idée du patient, en tant qu’autre, ne serait pas reconnue au sein de la recherche. La recherche serait donc de facto quelque chose de déshumanisée et n’aurait donc plus de sens dans certaines filières comme pour ce qui nous intéresse ici les sciences humaines. Si l’Homme, n’est pas le centre de notre étude et de notre intérêt à quoi sert la recherche ? La logique paradoxale est donc imbattable, et inflige des dommages considérables. D’où nous vient cette idée que la recherche est déshumanisée ?
Ce serait, selon nous, un manque de sens qui laisserait la place au vide. L’étudiant ne pourrait plus se représenter la recherche, parce qu’il ne pourrait plus se représenter l’objet même de sa recherche : l’Homme. Nous en revenons à la question des études nomothétiques qui rebuteraient l’esprit des chercheurs en herbe.
En psychanalyse, il y a une différence entre perception et représentation, « une perception nécessite la présence de l’objet, qui est une garantie objective de la réalité, alors qu’une représentation correspond à l’évocation d’un objet par sa non-perception actuelle, c’est-à-dire à la réplique interne d’un objet externe »[4].
Percevoir demande la présence de l’objet[5], pour qu’il y ait perception de l’Homme, il nous faut un homme ou une femme. La présence de l’Autre sera une garantie objective de la réalité, soit de son existence réelle. Puis la représentation de l’Homme au final, en son absence, ce n’est autre que le mot Homme, lui-même.
Dans la recherche, pour les sciences humaines, les thèmes étudiés sont abstraits : l’amour, la colère, le narcissisme… N’a pas de perception tangible, ça n’a pas de corps propre. Cette intangibilité du concept étudié est confondue, par l’étudiant ou le chercheur, avec l’intangibilité de support à l’étude : L’Homme. Comment expliquer cela, si ce n’est par la notion de clivage elle-même ? La séparation dont nous parlions, « l’Homme vidé de son sens », l’homme séparé de son esprit et de ses mécanismes. Pouvons-nous objectivement étudier l’amour, la colère, la dépression, sans le contexte qui est va avec ? Mais surtout comment les chercheurs font pour maintenir ce clivage irrationnel ?
Il est à savoir que le clivage n’est pas seul, il fait parti d’un couple, celui du clivage/déni. Ce qui est clivé est souvent, pour ne pas dire tout le temps, dénié. A partir de ce constat on peut dire que le corps et l’esprit forment deux entités distinctes, qui n’ont plus rien à voir l’un avec l’autre, parce que l’on dénie leurs appartenances.
Reprenons l’exemple donné plus haut : « tu es au contact du patient », ce bout de phrase montre le paradoxe auquel se confronte le chercheur et, dans la pensée collective, de la disparition de l’Autre. Le chercheur ne serait pas au contact du vrai patient, ce qui nous laisse nous demander à quoi sommes-nous exposés quand on est chercheur ou avec quoi travaillons-nous : des lettres dans des rubriques d’identités ou encore des chiffres ? Il nous serait presque impossible suite à une telle remarque de dire avec qui ? « L’autre », le vivant, l’être humain ne serait donc plus notre centre d’intérêt.
Bibliographie
[2] Klein, E. (2013). Allons-nous liquider la science ?: Galilée et les Indiens. Paris: Flammarion.
[3] http://quentin-philo.eklablog.com/pourquoi-les-jeunes-se-desinteressent-ils-de-la-science-a114403232
[4] Gueniche, K. (2011). Psychopathologie de l’enfant (Édition : 3e édition.). Paris: Armand Colin
[5] Le terme d’objet en psychanalyse désigne la personne l’autre, en aucune façon cela sous-entend une quelconque objectalisation et donc déshumanisation de sujet. Je précise cela pour la poursuite du travail pour qu’il n’y ait pas de confusion. La remarque a déjà été fait que l’utilisation du terme objet en psychanalyse semble paradoxale, mais dans le langage analytique la déshumanisation de l’autre serait dans le sens d’une désobjectalisation, ou tout le sens se fait ici, être vidé de son objectivité en tant qu’être ou en tant qu’autre.