Dossier : Le manque d’humanité dans les sciences 1
Article 1 : L’idée de l’absurde, imposée par la rigueur
Un article paru dans Slate soulève, selon nous, un problème majeur dans la recherche, celui du manque de sens. Il nous est exposé les dommages du clivage entre science et philosophie, ici considéré comme réflexion. En gros la question que tout le monde devrait se poser : c’est peut-il y avoir une science sans conscience ? Peut-on tout rationaliser, compartimenter ?
L’idée de l’objectivité est aveuglante au même titre que celle de la subjectivité. L’Homme aujourd’hui, pour appuyer son propos semble avoir besoin d’utiliser le terme de science à tout-va, comme le religieux utilisait le nom de Dieu pour faire trembler les païens. Nous avons tous lu au détour d’un article « une recherche scientifique confirme cela… », et la plupart d’entre nous se sont dit: quelqu’un a eu besoin de vérifier ? Le bon sens, est devenu la religion du païen qui n’a plus le droit d’être sûr de lui, s’il n’a pas vérifié scientifiquement ce qu’il dit. Le religieux scientifique fait vaciller la foi de notre païen en brandissant sa bible de la « critériologie scientifique »,
Dans son article L. Pointecouteau (15/11/2013) « De l’influence des acacias sur les accidents de la route : une ‘étude à la con’ nous explique les études à la con »[1], nous explique le rapprochement entre les statistiques, et tout ce que l’on veut y mettre derrière. Pour lui tant qu’il est question de chiffres et que l’étude faite semble méthodologiquement correcte, alors cela peut être publié, proposé au public, présenté à nos pairs. Pourquoi se poser plus de questions après tout : « Tout est une affaire de chiffres… » !
Selon lui, la question de la rigueur et des statistiques aveuglerait l’Homme face au ridicule de toutes les questions stupides que l’on peut se poser. Nous ne le répéterons pas suffisamment, mais tant que les statistiques et la méthodologie, sont dites scientifiques, alors, nous pouvons tout faire. Les statistiques sont donc devenues l’argument numéro 1 des sciences.
Selon nous, il s’agirait à la base d’une problématique épistémologique, mais expliquons-nous. L’idée de la recherche est donc reliée à l’idée même de science, ce qui fait que pour être scientifique il faut se soumettre aux normes de scientificités générales.
Pourquoi dit-on cela ?
Tout simplement parce que la recherche « scientifique » n’a pas de définition propre, ou plutôt il n’existe pas ou plus de consensus parfait et qui pourrait se décliner selon les différentes disciplines universitaires pouvant ou voulant faire valoir le titre de « science ». D’ailleurs cela se décline aujourd’hui à la science elle-même, le travail des philosophes, pour la définir, a fini par déconstruire cette notion. Il nous faut faire un détour, pour comprendre ce qu’est un chercheur et à quoi cela correspond.
La pratique de la recherche coïncide donc, ici, à tout et à rien en même temps. Nous sommes tous à la recherche de quelque chose, et cela toute la journée, passant de nos clés, au mot que l’on a sur le bout de la langue. Certains partiront dans tous les sens pour résoudre leurs problèmes de clés, d’autres seront plus méthodiques mais, pourtant on peut le dire, avec cet exemple, les deux les retrouveront. Bien évidemment certains mettront plus de temps que d’autres, mais au bout du compte les deux arriveront à la même conclusion, c’est d’ailleurs une idée qu’il nous faut garder en tête… Mais alors qu’est-ce que le métier de chercheur ?
Un chercheur serait donc un spécialiste de l’exploration qui s’accorde à respecter les critères de « scientificité de sa discipline ». C. Gohier, confirmera cela, en disant qu’il faut « poser d’entrée de jeu les critères de scientificité d’une recherche », ce sont des critères de validité qui se différencient selon la conception de la science qui les sous-tend… La critériologie en recherche interprétative (comme la psychologie ou la sociologie) s’est développée à partir de celle établie par les sciences ‘normales’ ayant pour figure paradigmatique la physique, afin de marquer sa spécificité, des critères de validité seront transformés en critères de rigueurs scientifiques. Dans les deux cas, il s’agit de critères auxquels on peut se référer pour juger du bien fondé d’une recherche quant à sa capacité à rendre compte d’un phénomène, à le décrire, à le comprendre. Dans les deux cas la démarche méthodologique doit être exposée afin de rendre la recherche accessible à la discussion dans l’espace public de la communauté scientifique…»[2].
Cela veut dire que pour n’importe quelle discipline (universitaire ou non) pour faire valoir son titre de « science», il faut être capable de se soumettre à la rigueur scientifique telle que les physiciens la conçoivent. Nous en revenons donc à l’empire/se du chiffre. C’est lui qui dicte sa loi au monde de la recherche. Nous réduisant d’une certaine manière à un univers stérile, où les concepts seront eux aussi transformés en chiffres, en équations.
Je serais peut-être réducteur en disant cela, mais les nombres se suffisent à eux-mêmes, il n’y a pas besoin de contexte, ni de vie, il n’y a pas d’Autre, pour faire de la recherche en physique. La notion de transformation de la validité en rigueur, est donc une notion plutôt vague de ce que le chercheur doit faire. Et d’une certaine manière, en se soumettant aux chiffres et aux nombres, c’est comme si nous avions cherché à réduire cet écart installé par la transformation. Comme si le passage du critère de validité en critère de rigueur avait laissé une marque indélébile, un manque qui fallait combler. Et en réduisant tout, aux chiffres, nous avons semble-t-il réussi cet exercice de force, qui a laissé une marque dans la recherche des sciences humaines.
Bibliographie
[1] De l’influence des acacias sur les accidents de la route: une «étude à la con» nous explique les «études à la con». (s. d.). Consulté 15 janvier 2014, à l’adresse http://www.slate.fr/life/80045/accidents-route-acacias-etudes
[2] Gohier, C. (2004). De la démarcation entre critères d’ordre scientifique et d’ordre éthique en recherche interprétative. Recherches qualitatives [En ligne], 24, 3-16. Accès : http://www.recherche-qualitative.qc.ca/volume24.html