Développement de la pensée chez l’enfant
Devinette :
- Jean est plus grand que Philippe, Philippe est plus grand que Thibaud
- question : est-ce que Jean est plus grand que Thibaud ?
- question 2 : est-ce que Jean, qui est plus grand que Philippe, est plus vieux que lui ? (posez la question à un enfant de 3, 6 et 9 ans)
Comment se construit la réflexion ou plus simplement notre manière de penser ?
La pensée est une construction entre ce que l’on est et, ce avec quoi l’on va être en interaction. D’une certaine manière, la différence entre l’enfant et l’adulte proviendrait simplement de l’expérience que l’on acquière jour après jour. Tout serait donc une question de développement dans le temps.
« la connaissance est une action sur les objets, c’est une interaction avec l’objet. La connaissance est une affaire de continuelles constructions nouvelles par interaction avec le réel, il y a créativité. La connaissance n’est ni dans le sujet ni dans l’objet, la connaissance n’est donc pas une copie, mais une assimilation, une interprétation par intégration de l’objet dans des structures antérieures des objets. L’étude du dessin de l’enfant, copie d’un modèle, il ne dessine pas ce qu’il voit mais son interprétation, il dessine l’idée qu’il s’en fait » (Piaget).
Il faut à l’enfant tout construire, même les choses les plus évidentes pour vous. Ce qui veut dire que rien n’est naturel. Par exemple avant un certain âge, l’enfant nie ce que l’on appelle la permanence de l’objet. Qu’est-ce que cela veut dire ? Un changement même minime changera l’objet lui même, ce n’est plus le même objet mais un autre. rappelez vous la devinette du début, un enfant de 3 ans, ne pourra pas garder en lui l’idée que Jean est plus grand que Philippe et que Philippe est plus grand que Thibaud, du coup que Jean est plus grand que Thibaud. Plus encore, la pensée d’un enfant de cet âge est intuitive. Cela veut dire qu’il n’établira pas de lien logique entre les choses. Par exemple il fera un raccourci étrange entre l’idée de grand et de vieux : « Si le monsieur est plus grand, il est plus vieux ». Vous êtes vous déjà demandé pourquoi il a cette logique ? Combien de fois lui avez vous dit : » C’est normal il est plus grand (et plus vieux) que toi donc il a le droit ?« . Traduction je suis petit, donc plus jeune, quand je serai plus grand donc plus vieux je pourrai faire cela, et souvent ce « cela » c’est l’idée d’être libre.
Seule l’expérience répétée en interaction avec le monde va lui permettre d’assimiler ce monde. Les objets resteront solides, et même, s’il ne les voit plus, ils peuvent continuer d’exister. Pourquoi dit-on cela ? Je préconise souvent aux parents de jouer à « coucou le voilà » ou à « cache-cache ». Avant 4 ou 6 ans, les enfants se cachent de manière très simple, souvent derrière leurs mains. L’enfant pense à ce moment, de manière égocentrique, que comme il ne vous voit plus, vous, non plus, ne le voyez plus. Nous en arrivons donc, ici, à ce que l’on appelle, en psychologie du développement l’égocentrisme intellectuel. Cet égocentrisme est un stade naturel du développement chez l’enfant. L’enfant, pendant cette période, va penser que tout ce qu’il sait, les autres le savent aussi. Cela n’a donc rien à voir avec de l’égoïsme. Et c’est, au fur et à mesure, qu’il jouera avec vous, l’enfant comprendra en partant de lui, qu’il ne disparait pas et, du coup, que vous, non plus, ne disparaissez pas. C’est le premier pas vers la permanence de l’objet. Vous, comme lui, devenez des entités solides, dans le temps et l’espace.
L’enfant n’est donc pas une éponge qui asborbe tout, sans réflexion. Il lui faut être en interaction avec le monde. C’est dans cette interaction, dans ce que l’on nomme l’expérience, que l’enfant intériorise le monde. Et avec le temps, l’enfant va pouvoir faire évoluer sa compréhension du monde qui l’entoure. Cette évolution est le résultat de l’équilibre de ces différentes manières de penser et d’agir. C’est ce qu’en psychologie on appelle un : « schème ». Celui-ci se confronte à l’expérience quotidienne de l’enfant. Il y a d’abord un déséquilibre entre ce que l’enfant pense et ce qu’il découvre. L’enfant a deux choix pour rééquilibrer sa manière de penser :
- l’assimilation qui est une intégration et, qui lui permet donc de changer cette manière de penser.
- l’accommodation, le schème va devoir changer, il se transforme avec le temps et l’expérience.
L’enfant va donc devoir résoudre la contradiction entre ce qu’il pense et, ce qu’il apprend. Beaucoup de mécanismes entrent en jeu, ici, par exemple il faut que l’enfant soit suffisamment plastique (accommodant) pour accepter que sa réalité ne soit pas le réel. Cette plasticité provient du rapport que l’enfant entretient avec ses parents, et avant tout, de leurs plasticités à eux. Plus le rapport, entre vous, est dans une adaptation commune, plus l’enfant sera malléable au changement. Les enfants étant dans l’imitation, si vous êtes malléables, ils le seront aussi. Le changement ne sera pas une crainte ou synonyme de danger pour eux. Plus tard et pour d’autres raisons, ce sera aussi un mouvement ou il devra accepter de ne pas être tout-puissant, et donc, de ne pas tout savoir. Pour ce faire, il faut que l’enfant puisse avoir assimilé et s’être accommodé de beaucoup d’informations au fil du temps. Souvent des parents viennent me voir, et me disent : » il croit tout savoir »… Pourquoi ces enfants ne sont pas capables d’altérer leur réalité ? Tout revient, le plus souvent, à une question de repères et de limites dans le temps et l’espace, et, de la manière dont celles-ci ont été posées, mais cela c’est pour un autre article.
bibliographie
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- Milligan KV, Astington JW, Dack LA. Language and theory of mind: Meta-analysis of the relation between language and false-belief understanding. Child Development 2007;78(2):622-646.
- Nader-Grosbois Nathalie, « Glossaire », La théorie de l’esprit, Bruxelles, De Boeck Supérieur, «Questions de personne», 2011, 484 pages , URL : www.cairn.info/la-theorie-de-l-esprit–9782804163235-page-397.htm. DOI : 10.3917/dbu.nader.2011.01.0397.
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O. Houdé, La Psychologie de l’enfant, 2e éd., Puf, « Que sais-je ? », 2005.